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Les ordres militaires du Temple et de l’Hôpital

Longtemps marginalisés au sein de la médiévistique, les ordres militaires ont

fait l’objet ces dernières décennies d’une recherche foisonnante, qui a

renouvelé notre compréhension de cette forme un peu particulière de vie

religieuse. Désormais partie prenante de la recherche, l’archéologie a contribué

à « dépoussiérer » l’image classique que l’on pouvait avoir de la commanderie.

Les opérations ponctuelles de terrain comme les travaux universitaires menés à

l’échelle régionale ont notamment concerné le midi de la France, terre de

prédilection des Templiers et des Hospitaliers.

Damien CARRAZ


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ÉLÉMENTS DE DÉFINITION

Les ordres militaires du Temple et de l’Hôpital furent fondés en Terre sainte à la charnière

des XIe et XIIe siècles, d’abord pour secourir les pèlerins, puis très vite pour contribuer à la

défense des États latins. Le rapide développement de ces ordres religieux entraîna la fondation de commanderies, en Orient comme dans tout l’Occident.

Pour le sens commun, la commanderie représente le lieu de vie d’une communauté de frères appartenant à un ordre militaire.

Cette idée est à ce point ancrée dans les esprits aujourd’hui qu’il serait vain de chercher à la contredire. Mais il importe de la nuancer. Attesté seulement au Moyen Âge tardif, le terme de « commanderie » (preceptoria, comendaria, parfois baiulia) revêt

avant tout un sens institutionnel : c’est une communauté religieuse associée à un « capital » immobilier (maison, granges, moulins, terres…) et mobilier (bétail, notamment), le tout confié à la responsabilité d’un frère désigné comme « commandeur ». Le lieu même où vivaient les frères était, le plus souvent, désigné par le simple terme de « maison » (domus, maio), ou parfois « palais » lorsqu’il fallait qualifier le chef-lieu d’une commanderie dotée d’importants droits seigneuriaux.

À l’échelle d’une province donnée, Templiers et Hospitaliers inaugurèrent une façon nouvelle

d’occuper l’espace par rapport au monachisme classique : au regroupement d’importantes communautés au sein de quelques monastères ils préférèrent un quadrillage beaucoup plus systématique du territoire par un grand nombre d’établissements.

Ce réseau était lié aux voies de communication, mais aussi à la trame urbaine, puisque les récents travaux ont justement souligné le tropisme urbain des commanderies.

L’effectif peuplant chaque maison était donc modeste : la moyenne tournait autour d’une petite dizaine de frères, auxquels se greffait une familia, plus ou moins nombreuse, qui partageait la vie de la communauté : laïcs affiliés, serviteurs, salariés relevant de tous les corps de métiers.

La présence d’un lieu sacré, desservi par un ou plusieurs clercs, était également au fondement d’une communauté religieuse soudée par une règle de vie et par une liturgie.


Même si elle ne répondait à aucun modèle préétabli, cette organisation sociale et religieuse

avait donc forcément des répercussions sur la topographie et sur l’architecture des sites livrés aujourd’hui à l’archéologie.


LA DOMUS DES ORDRES MILITAIRES :


UN CHANTIER PERMANENT

Templiers et Hospitaliers n’étaient pas des ordres cloîtrés, et leurs maisons se trouvaient donc largement ouvertes au monde extérieur. Il n’empêche que le statut religieux imposait un certain isolement : très vite, les commanderies urbaines s’enfermèrent dans de véritables enclos, qui n’ont pas été conservés, mais dont les traces subsistent encore à travers les sources écrites et la topographie, comme à Avignon.

Moins nécessaire à la campagne, l’érection de clôtures maçonnées a surtout répondu aux «malheurs du temps»: érigées seulement pendant la guerre de Cent Ans, voire lors des conflits religieux, beaucoup de ces enceintes sont aujourd’hui conservées (Jalès).

De fait, la commanderie de la fin du Moyen Âge se rapproche assez de la maison forte,

regroupant les parties nobles (logis et chapelle) en une même bâtisse et rejetant les communs dans la basse-cour (Chauliac, Lachal).

Outre le lieu de culte et un cimetière, ces enclos abritaient les communs liés à l’exploitation agropastorale, en plus des lieux de la vie régulière (réfectoire, dortoir, salle du chapitre) et seigneuriale.


L’ensemble de ces bâtiments était organisé autour d’une cour, voire deux, assurant une distinction entre la vie monacale et les fonctions agricoles. Si certains bâtiments dédiés au stockage ont été conservés lorsqu’ils étaient particulièrement soignés, comme les celliers de Jalès ou du Ruou, les logis sont beaucoup plus difficiles à appréhender pour l’archéologie. Il faut dire que les sources écrites attestent, dès le XIIIesiècle, un phénomène d’individualisation et de cloisonnement des espaces : ainsi, les dignitaires, d’abord, puis les simples frères disposèrent bientôt d’une chambre privative.

En effet, la disposition des lieux n’était jamais figée, et il faut plutôt imaginer la commanderie comme un chantier permanent, que les frères réorganisaient en fonction des besoins de la communauté ou des manières d’habiter.

À Vaour, les Templiers édifièrent ainsi au moins deux nouveaux logis au XIIIe siècle, ce qui conféra progressivement à leur maison la forme d’un quadrilatère organisé autour d’une cour.

À Tonnay-Charente, si la première occupation remonte au XIIIe siècle, la fouille a mis au jour des reconstructions étalées sur les deux siècles suivants, jusqu’à ce que le site périclite à la fin du XVIe siècle, à la suite des ravages des protestants.

D’après le matériel recueilli, la maisonnée connut l’activité la plus intense dans la deuxième séquence chronologique; pourtant, seuls un chapelain et deux domestiques étaient censés habiter les lieux en1373 ! De telles discordances entre les données livrées par l’archéologie et les repères apportés par les sources écrites ne sont pas rares et ne laissent pas d’être problématiques…


MANIÈRES D’HABITER

Si la chambre du commandeur est très tôt attestée par les textes, ce type d’espace individualisé peut être repéré avec une certaine fréquence dans les aménagements, plus ou moins tardifs, d’un certain nombre de maisons.

À l’étage de la domus templière de Richerenches, dès le XIIIe siècle, une camera bénéficiant d’une chemi née communiquait avec une vaste salle volontiers interprétée comme une aula. Dans le palais hospitalier de Manosque, au XIIIe siècle, le commandeur jouissait de véritables appartements, avec chambre, cabinet de travail et deux salles de réception

peintes.

Tout cela n’est hélas connu que par les archives, mais quelques logis revêtus de décors

peints fragmentaires ont été conservés pour la fin du Moyen Âge en Auvergne (Chaynat) ou en Quercy (Soulomès). Dans sa manière d’habiter, le commandeur partageait donc bien les habitudes de l’aristocratie. L’identité aristocratique se manifeste surtout dans ce qui constitue une véritable originalité architecturale des commanderies par rapport aux autres maisons religieuses : la présence de tours.

Très fréquemment attestée dans le Midi, cette expression du pouvoir seigneurial dans

le paysage a bien été étudiée en Albigeois, où une série de tours maîtresses, comportant le lieu de culte en rez-de-chaussée, présentent une vraie parenté (Vaour, Montricoux, Trébaïx).


On a même pu y voir une sorte de synthèse symbolique de l’ecclesia (église) et du castrum (place forte), qui ferait de ces « églises-donjons » un marqueur identitaire de l’architecture templière.

En l’état des connaissances actuelles, la vie matérielle des commanderies se saisit surtout au travers des inventaires ou des comptabilités, qui énumèrent meubles, ustensiles et effets personnels autant qu’ils renseignent sur le régime alimentaire des communautés religieuses. Ces données resteraient à comparer avec le matériel retrouvé en fouille : éléments de harnachement et éperons (Bajoles), céramique locale ou d’importation (Bajoles, Aix-en-Provence), trésors monétairesrappelant l’intégration commerciale de ces établissements (Temple de La Rochelle), installations artisanales liées à la présence d’une familia (Tonnay

Charente).

Les commanderies accueillaient enfin plusieurs espaces d’inhumation, à l’intérieur et

autour de l’église conventuelle, dans le cloître, pour les maisons les plus importantes (Toulouse, Bajoles), ou dans un cimetière séparé de type paroissial.

De fait, l’archéologie funéraire confirme l’ouverture au monde des commanderies – inhumation de femmes et d’enfants, accueil de pèlerins (à Toulouse), sépultures de prestige – et l’état sanitaire plutôt privilégié des frères inhumés en habit (Le Mayet-d’École, L’Argentière).


Bibliographie

• BAUD (A.), POISSON (J.-M.) dir. — Le château de Belvoir et

l’architecture fortifiée de l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem,

actes du colloque des archives départementales du Rhône,

1er-2 décembre 2016, Lyon, Maison de l’Orient, à paraître.

• BÉRIOU (N.), JOSSERAND (Ph.) dir. — Prier et combattre.

Dictionnaire européen des ordres militaires au Moyen Âge, Paris,

Fayard, 2009 (notices « architecture », « commanderie »,

« maison », « Richerenches », « Vaour », etc.).

• CARRAZ (D.) — Archéologie des commanderies de l’Hôpital et

du Temple en France (1977-2007), dans Cahiers de recherches

médiévales et humanistes, no15, 2008, p. 175-202.

• MATTALIA (Y.) dir. — Organiser l’enclos : sacré et topographie

dans les maisons hospitalières et templières du midi de la France,

dans Archéologie du Midi médiéval, t. 28, 2010.

• POUSTHOMIS-DALLE (N.) — Histoire et archéologie de la

commanderie. Grand prieuré des hospitaliers de Saint-Jean à

Toulouse : état de la recherche, dans Les ordres religieux militaires

dans le Midi (XIIe-XIVe siècle), Toulouse, Privat, 2006, p. 239-264.


 
 
 

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